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No Place like Home

Allez cette fois, j’arrête de réfléchir à des améliorations d’interface, à des indices plus limpides pour les joueurs, je décide que la phase de développement est terminée, et je publie… mon premier jeu. Notre premier jeu à Ray et à moi.

Bien sûr pas le premier sur lequel on ait travaillé puisque ça fait quelques années que nous sommes employés tous les deux comme game designers. Pas non plus le premier bidouillage ludique, puisqu’on s’est bien entendu fait les dents sur ce qu’on pouvait auparavant, grâce à toutes sortes d’éditeurs de niveaux et de scénarios, ou à des créations « jetables ».
Mais cette fois, c’est différent, parce que c’est vraiment un projet que l’on a réalisé nous-mêmes de A à Z. Depuis le concept, le scénario, le gameplay jusqu’aux graphismes et au code. C’est un projet qu’on a réussi à mener jusqu’à son terme, ce qui est sûrement le plus difficile. Et c’est un jeu que l’on va diffuser, qui ne sera pas fait juste à l’intention de quelques copains.

En fait la première chose qui me vient à l’esprit, c’est « pourquoi je n’ai pas fait ça avant ». J’aurais dû. Ça a été pas mal de stress et de prises de tête, mais surtout beaucoup de plaisir. Et puis les cycles de production étant ce qu’ils sont dans l’industrie du jeu vidéo, le simple fait de commencer un projet, d’en maîtriser la direction, et d’en voir le bout est un bonheur rare et précieux, même quand le projet est modeste.

Bref, pour marquer le coup, un petit post-mortem s’impose.

LE CHOIX DU GENRE

Le genre de l’escape the room (trouver moyen de s’évader d’une pièce fermée en utilisant ce qui s’y trouve) est un peu une sous-niche, un truc super pointu faisant partie de la famille des point’n click. Déjà le jeu d’aventure n’est pas vraiment ce qui a le plus le vent en poupe, l’escape n’en parlons pas : c’est le genre qui concentre à haute dose tout ce qui peut rebuter les joueurs – difficulté, casse-têtes, absence d’indications sur ce qu’il faut faire pour progresser…

De plus c’est un genre qui ne se rejoue pas une fois qu’on a fini le jeu, à la différence de nombre de puzzle-games qui connaissent le succès sur le web ; et un genre de jeu qui a une durée de vie très courte.

Clairement ce n’est pas un choix qui promet un jeu rentable. Mais ce n’était pas notre but. Je voulais commencer par un jeu suffisamment simple à scripter, et me faire plaisir avec un genre que j’affectionne, et surtout un genre extrêmement codifié, idéal pour un exercice de style. L’escape a cependant réellement ses fans et ses amateurs, les mêmes gens qui, j’imagine, aiment jouer à Professeur Layton. Des gens qui aiment réfléchir à des énigmes pas trop évidentes du moment que la solution est disponible en cas de blocage. Au moment où j’écris, le jeu est publié depuis 24h et environ 15 000 personnes y ont joué à travers le monde.

UN OBJECTIF DE DESIGN

En réalisant le document de concept du jeu, puis son design, je me suis donné un petit défi : réaliser un jeu d’escape narratif, où les énigmes ne soient pas simplement logiques, mais soient plutôt les clefs qui dévoilent une histoire progressivement en tirant partie de l’unité de temps et de lieu (tout le contraire d’un Layton pour le coup, où énigmes et histoire sont bien séparées).

Il me semble, très subjectivement, que les meilleurs jeux d’escape sont pour l’instant japonais. Ou peut-être pas les meilleurs, mais en tout cas les plus canoniques et formalistes. Ils sont généralement très épurés visuellement, les énigmes sont volontiers abstraites, mathématiques, ou faites d’associations de formes colorées, de lettres ou de symboles. Il n’y a généralement aucun texte, ou très, peu, généralement aucun contexte narratif, ou alors à peine suggéré. Les jeux d’escape occidentaux au contraire, ont tendance à aller vers du jeu d’aventure classique, avec des énigmes souvent peu intéressantes car trop rationnelles, pragmatiques (réparer, construire…), et des jeux très bavards. On a l’impression de jouer un extrait d’un jeu d’aventure plus vaste, et pas d’être à l’intérieur d’un casse-tête géant, mais fermé et fini.

Mon objectif était d’essayer de trouver un juste milieu en créant des énigmes qui racontent une histoire, qui matérialisent un univers cohérent, mais en restant des énigmes basées sur un système symbolique propre à cet univers et à lui seul. Un bon exercice de narrative design en somme. Je voulais même éviter tout texte superflu… et puis finalement j’ai craqué, j’ai quand même intégré une sorte de journal du personnage, qui aide à construire le thème.

Dans certains jeux le joueur comprend qu’il doit collecter/assembler/disposer une série d’objets (cristaux, billes, papiers, clefs, cartes magnétiques, objets plus ou moins mystiques…). Ici les choses à assembler seraient des échos du passé plus ou moins brumeux dans la tête du personnage, des souvenirs qui finiraient par faire émerger une vérité oubliée. Finalement l’idée se rapprochait assez d’une logique des rêves, où tout semble sujet à interprétation, sans que l’on sache forcément laquelle est la bonne. Ça se prêtait bien à une histoire qui parle d’hallucinations et de faux souvenirs. Mais comment faire pour que le joueur comprenne facilement le langage du jeu ? C’est là qu’est venue l’idée d’utiliser le film Le Magicien d’Oz (Fleming, 1939) comme référent : avec son thème bien connu du « retour chez soi » et du « home sweet home », la tentation était grande de l’utiliser de manière détournée ou parodique dans un jeu où le but est de foutre le camp de chez soi par tous les moyens. La référence fonctionnerait un peu comme un inconscient collectif qui permettrait de déchiffrer de vieux mythes, mais en version pop.

Au final, c’était une demi-bonne idée : je pense que le thème et les références au film comme moteur d’énigme fonctionnent bien, en revanche je m’aperçois que finalement peu de gens connaissent encore suffisamment bien le film pour que cela les aide à comprendre le jeu. Certains joueurs lui ont reproché un manque total de logique du fait qu’ils ne comprenaient pas les clins d’oeil et encore moins les indices. C’est problématique pour un jeu d’avoir un tel pré-requis, et ce serait l’une des choses à améliorer si je devais retravailler dessus. En l’état le jeu a un niveau de difficulté assez élevé. Et pour ne pas arranger les choses, après beaucoup d’hésitation, j’ai finalement inclus un semi-game over dans cette escape, alors que ça ne se fait pas trop d’habitude. Ça fait beaucoup de choses qui découragent les joueurs, même si la difficulté fait partie des règles du genre.

LA TECHNIQUE

Puisque la partie code m’incombait, et que j’ai absolument zéro background en programmation, j’ai opté pour Multimedia Fusion 2, qui permet de développer un jeu sans avoir à réellement coder. Il faut quand même avoir une certaine idée de ce que l’on peut scripter à partir d’une série de tests et de conditions, et ce n’est pas toujours évident à prendre en mains. Mais à force de tutoriels, de forums, d’essais, et de suggestions avisées de Ray, j’ai fini par contourner suffisamment de problèmes pour avoir quelque chose qui tourne.

J’ai quand même l’impression d’avoir fait les choses un peu « salement » et je suis contente que personne n’aille mettre son nez dans ce que j’ai fait ! La plupart du temps j’ai scripté des cas particuliers faute de savoir réutiliser un même modèle d’action pour tous les cas nécessaires. C’était sûrement une perte de temps et un risque de laisser des bugs, mais en tant que débutante sur l’outil je n’étais pas capable de faire mieux. J’ai évidemment beaucoup appris au cours de ce développement, même s’il me reste encore énormément à expérimenter. Par exemple je n’ai pas encore essayé de proposer une sauvegarde du jeu, ce qui m’a été reproché.

Il y aurait de ce fait beaucoup de choses à améliorer au niveau de l’ergonomie (je n’ai pas réussi à utiliser la molette de façon satisfaisante pour faire pivoter des éléments ; je n’empêche pas les actions quand un objet inutile est attaché au pointeur…) Si j’ai du temps, du courage et des idées, il y aura de quoi y revenir.

En revanche j’assume totalement certains choix de design, comme le fait que le pointeur ne change pas d’apparence au survol d’un objet interactif, ce qui rendrait le gameplay artificiel.

Ensuite c’est une question de temps : ce n’est « qu’un » petit jeu d’escape, c’est un premier essai, ce n’est pas un jeu qui nous rapportera grand chose. Je pourrais y passer encore des semaines, mais je crois qu’il est plus sage de clore le projet et de penser au suivant. L’important étant que le jeu n’ait à ma connaissance plus de bugs, qu’il soit jouable, appréciable. Ce qui a l’air d’être le cas.

Pour ce qui est des graphismes, c’est Ray qui s’est chargé de « peindre » sous Photoshop tous les superbes décors. Le jeu lui doit complètement cette ambiance délabrée et mélancolique que je n’avais pas du tout prévue au départ. J’ai dessiné les objets sous Fireworks en essayant d’harmoniser le style avec celui de l’appartement. Au final je suis vraiment contente du style et de l’atmosphère, même si l’usage de Photoshop a posé quelques contraintes : impossible de simplement déformer une zone pour la montrer en gros plan ou sous un autre angle (la plupart des jeux d’escape sont réalisés en 3D). Ça a fortement impacté le gameplay puisque je ne pouvais pas cacher d’objets derrière un meuble sans que ça oblige à dessiner de zéro une vue supplémentaire, il a donc fallu limiter pour ne pas faire exploser le poids du fichier final et le temps de production des assets.

Enfin pour le son, j’ai bricolé sur Audacity à partir de samples libres de droit, à la Frankenstein, d’une façon qui ferait sûrement bondir tout sound designer qui se respecte. C’est la partie qui, je pense, pourrait être la plus facilement améliorée tant c’est du bricolage. Au moins, certains joueurs ont semblé apprécier le fond musical lent et atmosphérique, c’est déjà ça. Je l’ai fabriqué en mélangeant des accords de guitare extrêmement ralentis avec un enregistrement de conversations étouffées dans une salle d’attente, et une boîte à musique jouant « Over the Rainbow ».

LE BETA TEST

Une étape essentielle. Vitale. Je le savais déjà mais je m’en suis encore fait la remarque. A force de connaître les manipulations par coeur, je n’étais plus capable et je n’avais plus envie d’essayer de jouer « naturellement ». Heureusement qu’il s’est trouvé plusieurs personnes pour passer des heures dessus, j’ai pu corriger un paquet de bugs avant la publication officielle, et améliorer beaucoup de choses dans l’ergonomie (ajout du log, des objets attachés au pointeur, et j’en passe).

En tout cas, mieux vaut recruter en masse : pour 5 personnes volontaires, 2 testent vraiment le jeu et une seule fait vraiment des retours utiles… Au final je suis contente d’avoir des amis qui travaillent dans le jeu vidéo ou autour, ça a été eux les plus efficaces. ^^ Encore merci à eux pour leurs efforts parfois douloureux ! Et un merci spécial à Lambda qui en plus de beta-tester, s’est chargé d’écrire un walkthrough.

LA DIFFUSION

J’ai voulu tenter de passer par MochiMedia puisque l’option est incluse dans Multimedia Fusion 2 : ils proposent d’intégrer de la pub en début de jeu par exemple, et ensuite on reçoit une maigre rémunération en fonction du nombre de vues. Ils proposent aussi de diffuser le jeu via leur réseau. Ils ont été un peu pénibles pour la validation (problèmes de copyright pour mes citations du Magicien d’Oz), mais on verra ce que ça donne. En attendant j’ai soumis « No Place like Home » chez Kongregate, qui n’accepte pas la pub Mochi. Je pensais que ça serait juste une première adresse pour commencer : j’avais clairement sous-estimé la capacité du web universel à s’approprier les contenus gratuits à la vitesse de la lumière. En quelques heures, notre jeu figurait sur une douzaine de sites aussi bien français que turcs, chinois, hispanophones… Seul le site Jayisgames a eu la politesse de demander la permission.

Et comme en plus cette demande était assortie d’une revue très positive… :)

C’était intéressant de regarder en direct les réactions des gens sur les différents sites, encore une étape qui m’a vraiment éclairée sur les points qui manquaient de feedback par exemple. Les plus sympathiques réactions proviennent des sites spécialisés en escape/aventure : les joueurs échangent leurs informations en direct, se donnent des indices, utilisent des balises spoilers, sont curieux, formulent des théories et des hypothèses. Un site comme Kongregate, qui n’a même pas de rubrique dédiée aux jeux d’escape, comptabilise beaucoup plus de vues, mais aussi beaucoup plus de commentaires négatifs ou rageux, de gens qui mettent de mauvaises notes parce qu’ils n’avancent pas, de commentaires qui spoilent sans scrupules. S’il y a une prochaine fois, je sais où je soumettrai le jeu en priorité. :)

Voilà les quelques réflexions qui me viennent à l’issue de ce projet. Je suis très contente d’avoir réussi à finir quelque chose dans des délais raisonnables (moins de 4 mois), très contente de l’accueil que le jeu obtient auprès du public-cible, très contente d’avoir collaboré avec mon amoureux sur quelque chose qu’on a pu maîtriser de bout en bout.

Il est temps de réfléchir à un prochain projet, et ce ne sera sans doute pas un jeu d’escape. :)

Je termine ce chapitre avec un extrait de la critique de Jayisgames qui m’a vraiment touchée :

« What makes it great, however, is the way the story and setting creep up on you as you explore your dingy little world bit by bit. It’s a great example of telling a narrative through your environment, using setting and clues rather than simply setting the player down and explaining everything. While it may require more than a little thought (you asked for a brain, didn’t you?), and a dose of patience besides, No Place Like Home is a challenging, beautiful escape game that expertly weaves story and gameplay together for a great experience. »

PS : j’ajoute le lien vers une très chouette critique écrite par Pierrec de l’Oujevipo, merci à lui !