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Le Navet d’auteur, un concept français ?

Le blog Playtime du journal Le Monde vient de publier une longue interview de Sébastien Genvo, maître de conférences à l’université de Metz et créateur d’un premier jeu vidéo intitulé Keys of a Game Space. Son objectif était de montrer qu’un jeu vidéo peut explorer des émotions subtiles, aborder des sujets douloureux, et faire expérimenter au joueur un engagement par le choix dans des situations difficiles, en le mettant dans la peau d’une personne confrontée à un dilemme moral. Dans son interview Genvo laisse entendre que le jeu vidéo n’y est jusqu’ici pas parvenu, ou ne s’y est que très peu intéressé, à part pour quelques œuvres « marginales » comme Ico ou Passage : « Il est rare de pleurer devant un jeu vidéo, ou de ressentir de la tristesse. » dit-il.

Une chose est sûre : on n’a pas dû jouer aux mêmes jeux depuis ces 20 dernières années. Je pense même qu’on pourrait affirmer exactement l’inverse. La plupart des jeux narratifs (blockbusters compris), c’est-à-dire des jeux qui prétendent susciter de l’émotion (on ne parle pas de jeux de sport ici je suppose) se font un devoir de proposer au moins une scène triste, et ces scènes-là sont souvent efficaces (Gears of War, Final Fantasy…). C’est parfois même le jeu tout entier qui respire la tristesse et la mélancolie (Silent Hill : Shattered Memories…). Le choix moral laissé à l’appréciation du joueur est également une feature passablement à la mode, même si le design laisse souvent matière à discussion (Bioshock, Heavy Rain…). Enfin les thèmes comme celui du jeu de Genvo sont effectivement plus rares, mais là comme ça je crois pouvoir citer quatre ou cinq jeux mainstream qui évoquent les souvenirs douloureux d’une enfance maltraitée (j’y reviendrai dans un autre billet).

Mais passons. Si Genvo affirme cela, c’est sans doute qu’il a quelque chose à proposer pour aller plus loin dans ce sens. J’ai donc testé Keys of a Game Space. Entendons-nous bien : c’est une première réalisation, de dimensions modestes, et qui a au moins le mérite d’essayer de placer haut la barre, loin de moi l’idée de dénigrer cela. Cependant au final le jeu lui-même va à l’exact encontre du propos théorique de son auteur. En effet, comment expliquer que le jeu vidéo permet de simuler des choix, un engagement, et d’expérimenter ce qu’une autre personne a vécu, en proposant un jeu presque vide de choix et dont les seules options laissées au libre-arbitre du joueur sont binaires ? Comment peut-on même avoir la prétention de dire « nous espérons également qu’il pourra aider des victimes en détresse psychologique et qu’il fera réfléchir certaines personnes qui s’apprêteraient à commettre des actes graves en leur faisant vivre par le jeu les conséquences de leurs agissements. » quand on se contente de mettre en scène des souvenirs personnels sans laisser aucune place au joueur, sans lui permettre ni de réfléchir ni d’agir, à part lors d’un unique choix final « blanc ou noir » ?

En réalité, Keys of a Game Space ne propose quasiment aucune liberté au joueur, pas même celle d’effectuer les actions dans n’importe quel ordre contrairement à ce qui est annoncé. Pour parler clairement, Keys of a Game Space ne propose même que très peu de gameplay, et un design narratif extrêmement léger, avec des dialogues et des situations assez « cliché » (« le lieu où les anges pleurent en silence » pour parler de pédophilie, sérieusement ?), entrecoupés de références théoriques et de déclarations d’intention. Ça n’est vraiment pas réellement pire que beaucoup de jeux d’aventure old school au design rigide, mais au regard du projet énoncé, c’est à mon avis un échec.

Mais ce n’est pas grave. Comme on le lit dans tous les conseils pour apprentis game designers : votre premier jeu sera certainement très mauvais, parce que personne n’a la science infuse, et que l’important est de faire et de se tromper, pour apprendre : on a tous des débuts qu’on préfère oublier. Non, ce qui est plus gênant, c’est que cette tentative maladroite et assez pontifiante soit présentée par un grand journal comme un « jeu d’auteur », et assorti d’une promotion flatteuse et d’une longue interview où l’on parle de légitimation artistique et culturelle du jeu vidéo.

Pourquoi ? A mon avis pour deux raisons.

La première c’est que la presse généraliste est complètement désemparée quand il s’agit de parler de ce « nouveau » média (il n’est nouveau que pour les journalistes en question) : ils n’ont personne qui sache en parler, personne qui l’ait étudié à la fac, ou personne qui l’ait un tant soit peu pratiqué de l’intérieur. Alors quand ils voient quelqu’un avec un titre universitaire et un discours plein de références savantes, ils se disent que ça doit être du sérieux et du respectable.

La deuxième c’est cette espèce de mépris de la culture populaire, qui fait qu’au fond d’eux-mêmes ils ne sont pas persuadés que le jeu vidéo soit en lui-même sérieux et respectable*. Je vais simplement citer les propos de Sullivan Le Postec à propos du « cinéma d’auteur français », qui réagissait à un article de Télérama, car ce qu’il dit peut être exactement transposé pour le jeu vidéo :

Right, en 2011, à Télérama, ils font encore cette distinction primaire entre le divertissement et la culture. Et c’est vraiment un article de cette année, hein, pas une reprise d’un article de 1991. Difficile de mieux démontrer qu’on n’a rien compris à ce qui s’est passé culturellement en France et en Europe ces trente dernières années qu’en écrivant ce genre de choses. Par son mépris du ‘‘divertissement’’ – c’est-à-dire de la culture populaire – la France s’est rendue culturellement stérile depuis quelques décennies.(…)

Le cinéma d’auteur français, c’est une quantité invraisemblable de films, dont une très grosse portion sont simplement des navets, qui s’étouffent les uns les autres. Le cinéma d’auteur, il n’a pas besoin d’être sauvé: il se meurt d’être surprotégé. Il pourrit de son trop grand nombre. Il se décompose du fait que subventions et ‘‘exception culturelle’’ font que n’importe qui peut mettre sur les écrans, en se disant Auteur, n’importe quoi – c’est-à-dire dans 90% des cas une histoire vue mille fois, au scénario très mal structuré, et horriblement mal filmée – et qu’il se trouve encore des journalistes de Télérama pour crier au génie.

Le jeu vidéo d’auteur français n’est certes pas en risque d’étouffement, car il ne bénéficie pas d’autant d’aide que le cinéma, même si les politiques ont semblé s’y intéresser récemment (Martine Aubry, Frédéric Mitterrand…). En revanche on observe la même inculture et le même sectarisme de la part de la presse, qui pourra célébrer comme une œuvre d’auteur un « navet » mal écrit, mal conçu, mais qui aura le « bon goût » de proposer un contenu « sérieux », « réaliste », « adulte », et de bannir de ses mécanismes tout ce qui pourrait trop ressembler à du divertissement. On trouve le même snobisme aberrant dans les expositions et manifestations diverses « autour du jeu vidéo », qui bien souvent se rabattent sur des machinimas ou sur des jeux « à message » sans gameplay ; ou bien dans les colloques qui ne jugent pas utile d’inviter des créateurs de jeux. Heureusement d’autres démarches existent, qui embrassent le jeu vidéo pour ce qu’il est (l’expo Arcade ! par exemple qui permet aux visiteurs de réellement jouer à des jeux). Un jeu avec un gameplay fort empêche-t-il l’existence d’un message ? C’est bien sûr tout le contraire, le gameplay d’un bon jeu participe du message et de la narration.

Il faudrait toutefois interroger cette notion « d’auteur » : faut-il nécessairement faire un jeu tout seul avec trois bouts de ficelle et une grosse ambition pour être qualifié d’auteur, façon Jonathan Blow (Braid) ? Un jeu fait par un gros studio est-il nécessairement vide de sens et de qualités philosophiques ? En réalité, on retrouve le même problème à l’autre bout du spectre : des jeux AAA ayant mobilisé des dizaines voire des centaines de personnes pendant plusieurs années seront souvent attribués à une seule personne : Levine pour Bioshock, McNamara pour L.A. Noire, Cage pour Heavy Rain, Miyamoto pour les Super Mario… Ce que les joueurs ont aimé, est-ce vraiment imputable à ces seules personnalités, ou bien à des game designers anonymes ? Il existe bien sûr de vrais « porteurs de vision », mais il est certain qu’un jeu vidéo de ce niveau n’est jamais l’œuvre d’une seule personne.
Ce qui n’arrange pas certains journalistes tant il est plus confortable d’utiliser cette figure de l’Auteur pour valoriser et légitimer un jeu, et de jouer au dernier David Cage comme on va voir le dernier Lars von Trier : cela confère inévitablement une aura de fin connaisseur. Est-ce une attitude spécialement française ? Pour David Cage la mise en avant de son nom est en tout cas une démarche marketing assumée, comme il l’a expliqué lui-même, afin de garder le contrôle sur les productions de son studio. Et cela a fonctionné à la perfection, Heavy Rain est considéré comme le jeu d’un seul homme, donc un « jeu d’auteur », alors même que son scénario et sa narration comportent des défauts majeurs, sans être du tout originaux et personnels.

Il faudrait aussi s’arrêter sur cette autre tendance française qui consiste à parler d’auteur dès que quelqu’un s’est contenté de poser ses tripes fumantes sur la table, sur cette obligation du réalisme voire du naturalisme ou de l’autobiographie, que l’on retrouve aussi bien dans le roman qu’au cinéma et finalement dans le jeu vidéo, et qui devrait être la quintessence de ce que l’Auteur apporte au public, rendant superflues toutes règles de style et de narration** : ou comment faire avaler un navet de plus. Il faudrait enfin réfléchir à ce mépris des codes, des règles, des techniques et des savoir-faire qui viendraient corrompre je ne sais quelle innocence et spontanéité de l’Auteur. Car cela conduit, finalement, à mépriser le métier de game designer et de narrative designer (professionnels, indies, amateurs), et à déposséder ces derniers de toute légitimité.

C’est décidément une profession qui n’est pas reconnue.

Keys of a Game Space ne méritait sans doute pas plus ma colère qu’il ne méritait la publicité qu’il a eue, et j’ai quelques scrupules à l’avoir pris comme prétexte. Mais je ne peux m’empêcher de mettre ce manque de discernement en perspective avec les récentes affaires autour des conditions de travail déplorables que les professionnels du jeu vidéo connaissent bien souvent (révélées notamment à propos de L.A. Noire et du studio Team Bondi) : heures supp non payées, salaires dérisoires, chantage au licenciement, crunch au long cours, éviction de noms au générique du jeu, proportion incroyable de projets annulés en cours de production, designs amputés selon la fantaisie du marketing ou du patron dont le fils a eu une super idée, scénarios confiés à des scénaristes TV ou des romanciers qui n’ont pas la plus petite idée de ce qu’est une narration interactive… Il faut vraiment être passionné pour continuer dans cette voie.

Je me console en me disant qu’un jour je ferai un jeu pour raconter tout ça, et qu’on dira que c’est un jeu d’Auteur.

 

* Quand Anthony Jauneaud, narrative designer chez Ubisoft, a émis des critiques sur cette interview, la réaction du responsable du compte Twitter du blog Playtime a été de lui dire abruptement de retourner jouer à Driver, Call of Duty ou aux Lapins Crétins. Révélateur.

** Un jeu français, d’inspiration autobiographique, mais avec un vrai gameplay, ça existe : ça s’appelle I am Ourobouros, par Pierrec (oujevipo.fr) et ça a été réalisé par lui tout seul en moins de 48h.

10 comments to Le Navet d’auteur, un concept français ?

  • Bonjour,

    « En réalité, Keys of a Game Space ne propose quasiment aucune liberté au joueur » :

    C’est un jeu sur un personnage qui se questionne sur le déterminisme et le ressent (plusieurs éléments dans le jeu, notamment dans les dialogues ou intertitres, le soulignent). La limitation de la jouabilité est une façon de faire ressentir au joueur ce que vit le personnage principal (ce peut être frustrant pour le joueur, j’en ai bien conscience, c’était un risque à prendre, je m’attendais à ce genre de critique…). Le fait qu’il n’y ait que peu de choix permet de mettre l’accent sur ces moments.

    « pas même celle d’effectuer les actions dans n’importe quel ordre contrairement à ce qui est annoncé. » : cela n’a jamais été annoncé au contraire, sur le site il est indiqué :

    « Un jeu expressif vous propose de vous mettre à la place d’autrui pour explorer ses problèmes psychologiques, sociaux, culturels et faire l’expérience des dilemmes moraux et/ou éthiques qui en résultent, avec leurs conséquences »

    On ne peut pas dire qu’il y a tromperie sur la marchandise (qui est en plus gratuite) : il s’agit bien dans KOAG d’explorer dans un premier temps les problèmes du personnage puis de faire l’expérience de dilemmes qui en résultent.

    J’espère que ces précisions apporterons quelques éclairages sur les décisions de design prises dans ce jeu.

  • Quelques précisions sur la perception du jeu à l’étranger pour le moment (pour apporter une nuance aux propos ci-dessus, après je peux comprendre que le jeu ne plaise pas, il y a eu quelques critiques un peu moins favorables que celles ci-dessous) :

    « an incredibly engaging, gorgeously presented and confidently delivered game », http://www.pcgamer.com/2011/10/02/this-weeks-best-free-pc-games-19/

    « I feel that Genvo’s team largely achieves its goal of showing how games can be a major medium of expression », http://www.diygamer.com/2011/09/twin-peaks-eraserhead-mystic-river-common-keys-gamespace/

    « Like nice surprises? Keys of a Gamespace is one such thing », http://indiegames.com/2011/09/freeware_game_pick_keys_of_a_g.html

  • je ne peux pas parler de KOAG parce que je n’ai pas pris la peine de le tester mais je ne peux que me retrouver dans cette colère qui s’élève contre le navet d’auteur et la propension qu’ont certains communiquant à valoriser à tout prix l’auteur au détriment de l’oeuvre. Merci ça fait plaisir de lire de telles proses

  • Bonjour Sébastien et merci d’avoir pris la peine de répondre. :)

    Je tiens à redire que mon billet ne constitue pas une critique de KOAG, je réagissais surtout à la présentation qui en a été faite à la fois par Playtime et par vous-même via le site du jeu. Il me semble assez casse-gueule – et terriblement immodeste – de se lancer dans la conception de son tout premier jeu en affirmant faire ce que l’industrie tout entière aurait échoué à réussir. Il me semble que le jugement que vous portez à ce sujet est erroné, ou partial, car de nombreux jeux essaient de faire exactement ce que vous proposez, ils n’ont simplement pas ce label de respectabilité que constitue un « serious game » réalisé par un chercheur universitaire.
    Je pense que si l’on écarte tout cela pour se concentrer uniquement sur le jeu et l’expérience qu’il propose, KOAG est bien loin de révolutionner quoi que ce soit, malgré ses qualités.
    Je voulais donc protester contre ce journalisme qui prétend parler de jeux vidéo, mais uniquement à travers cette lentille snobinarde qui trouve pertinent de distinguer de la masse le « jeu d’auteur » selon des critères qui n’ont pas grand chose à voir avec l’art du game design ou de la narration interactive.

    Si je devais faire plus précisément la critique de KOAG, je dirais que malgré votre intention, que je comprends, les notions de liberté/déterminisme sont mal mises en scène. Pour expérimenter le manque de liberté, il faut avoir la possibilité de cette liberté à côté : on ne ressent pas le manque de quelque chose qui n’existe pas. Vous parlez de « l’espace des possibles » : je n’ai pas eu l’impression que vous ayez créé cet espace pour le joueur.
    Peut-être aurait-il fallu prévoir une phase d’introduction dans laquelle le personnage aurait eu la liberté de faire différentes actions avant d’être confronté à cette situation « enfermante » qui fait l’objet du jeu.
    Peut-être aurait-il fallu exprimer ce manque de liberté autrement : le fait de ne pas avoir de choix dans les actions et de simplement cliquer pour voir la suite de l’histoire correspond à une certaine tradition du jeu d’aventure, qui est généralement décriée, et considérée un mauvais design, en partie responsable du déclin du genre. Je peux comprendre qu’on veuille malgré tout explorer cette voie, mais était-ce vraiment une solution créative ? A un moment dans KOAG, on a un affichage de 4 ou 5 choix de dialogues qui sont en réalité la même phrase : ceci était beaucoup plus malin pour exprimer l’absence de vrai choix.
    Et puis je ne comprends pas très bien pourquoi le personnage n’a pas de choix dans l’exploration de ses souvenirs heureux : ce sont justement des moments qui auraient dû être différents des souvenirs traumatiques.

    Bref le message délivré par le jeu me semble confus, pas du tout porté par le design lui-même. Il finit d’ailleurs par être lourdement expliqué par des inserts de textes théoriques et explicatifs, à l’intérieur même du jeu, ce qui pour moi est un aveu d’échec.

    Dernière remarque : je crois deviner que le jeu s’inspire beaucoup de votre histoire personnelle, et je me demande si ça n’a pas été un handicap. L’évocation de certaines scènes est probablement émouvante ou difficile pour vous qui les avez vécues, mais elle ne le seront pas pour autrui si vous ne suivez pas un minimum les règles narratives de construction des personnages, d’implication du joueur, etc.

    Tout ceci étant dit, cela ne retire rien ni à l’ambition ni au soin que vous et votre équipe avez voulu mettre dans ce projet, et sans cette promotion déplacée et méprisante pour le jeu vidéo dans son ensemble, je me serais sans doute arrêtée à ses qualités. Le journalisme béotien en quête d’Auteurs a déjà fait suffisamment de mal à la bande dessinée ou au cinéma sans qu’il s’en prenne maintenant au jeu vidéo.

  • Leto

    « des jeux AAA ayant mobilisé des dizaines voire des centaines de personnes pendant plusieurs années seront souvent attribués à une seule personne »
    La même chose peut être aussi dite concernant le cinéma. Des milliers de personnes peuvent travailler sur un projet, on n’en retiendra – au mieux – que le réalisateur. Ce n’est pourtant pas faux de dire qu’un film de Steven Spielberg, de David Fincher, de Terrence Malick, d’Orlon Welles, etc. est bon parce que son réalisateur sait ce qu’il fait. Certes, il y a des centaines de sous-mains qui ont permis à son projet de prendre vie, mais toujours est-il que la personne qui a fait la différence entre le navet qu’il aurait pu être et le chef-d’oeuvre qu’il est, c’est le réalisateur.
    Je ne connais pas assez la conception vidéoludique pour en parler avec sérieux donc je ne passerais que par l’interrogation : qu’est-ce qui empêcherait les Jeux Vidéos d’échapper à la politique de l’Auteur (celui qui fait une oeuvre d’art personnelle et accessible, pas celui qui se regarde le nombril et fait des trucs intéressant neuf bobos) ?
    A moins que ceci soit le fruit de la juvénilité de l’art vidéoludique qui n’a pas encore permis de dégager de véritables artistes constants et audacieux (enfin, on peut quand même considérer que des gens comme Shigeru Miyamoto ou Hideo Kojima sont des Auteurs, non ?)

    Très bel article, sinon. Bravo et bonne continuation !

  • Merci pour ce retour, quelques dernières précisions :

    « Pour expérimenter le manque de liberté, il faut avoir la possibilité de cette liberté à côté ».

    En fait la liberté d’action du personnage se restreint bien au fur et à mesure du jeu, ne serait-ce que dans l’ordre de découverte des scènes. Je vous le concède, il aurait été possible de mettre plus de latitudes d’action. Mais plusieurs facteurs ont motivé la décision de ne pas le faire :
    – Contextuel : il s’agit d’un jeu développé par des personnes bénévoles, en 6 mois, sur du temps libre, essentiellement en télé-travail. Développer davantage de liberté signifie davantage de contenus, ce qui était difficile compte tenu du contexte de production.
    – Pour le public cible : il s’agissait de faire un jeu accessible au plus grand nombre (des non-joueurs), et volontairement court. Davantage de possibles complexifie la chose, il y avait un risque de perdre des joueurs (les seules interactions d’objets au début étaient déjà parfois difficiles à trouver pour certaines personnes ne jouant quasiment jamais aux jeux vidéo, ce que l’on oublie facilement quand on baigne dans ce milieu).
    – En ce sens, il s’agissait enfin et surtout d’une volonté de conception, risquée car elle peut frustrer le joueur, mais tout dépend du joueur auquel on s’adresse. Certains joueurs finissent le jeu en 20 minutes, d’autres plus d’une heure (ceux qui passent le temps à tout explorer, essayer différentes possibilités, se mettent dans l’ambiance, ou n’ont plus touché aux jeux vidéo depuis des années, etc.). Cela ne veut pas dire cependant que le jeu déplaira aux « gamers », mais il est vrai que cela risque de ne pas répondre aux horizons d’attente de beaucoup d’entre eux (mais c’est un choix assumé).

    Sur un autre point, celui de l’impact émotionnel des scènes visitées. C’était pour moi une vraie question, de savoir si l’émotion allait passer à travers certaines scènes. Mais encore une fois, il n’y a rien de systématique (et heureusement). Pas de recettes magiques, mais effectivement certaines techniques de narration bien maîtrisées peuvent aider à toucher certains publics. Pour avoir consacré mes recherches (et enseigner) en grande partie à la narratologie appliquée aux médias numériques, je ne pense pas être dans l’ignorance des « règles narratives de construction des personnages, d’implication du joueur ». Encore une fois, les techniques employées le sont volontairement, et le fait d’avoir plusieurs retours de joueurs ou de critiques sur l’aspect émotionnel du jeu (voir supra) me laisse penser que le jeu n’est pas complétement dénué d’émotions…

    Enfin, « sans cette promotion déplacée et méprisante pour le jeu vidéo dans son ensemble, je me serais sans doute arrêtée à ses qualités. » :

    – Le jeu ou le discours qui l’entoure me semble pas être méprisant à l’égard des jeux vidéo, au contraire KOAG est un hommage à leur potentiel expressif (il y a des références à Silent Hill, à Braid, à Kult d’Exxos, je pouvais trouver plus restrictif comme types de jeux abordés). Il faut juste être un minimum critique et essayer d’aller de l’avant en se rendant compte que certaines logiques dominantes dans les modèles de production actuels vont encourager des logiques de normalisation, qui ne sont cependant pas exclusives et peuvent être amenées à évoluer. Je ne suis pas le seul à le penser, voir par exemple Digital Play de Kline sur ce point.

    Enfin, sans cette promotion vous n’auriez pas parlé de KOAG puisque vous n’en n’auriez certainement pas entendu parler. Cela pose la question de la communication autour de projets indépendants pour qu’ils puissent exister. Ubi Soft, Sony, etc. disposent de budgets colossaux pour promouvoir leurs jeux, ils n’ont pas spécialement besoin de Playtime pour avoir des joueurs, ou des fans. Donc merci à nouveau à ce blog pour parler souvent de projets différents dans le paysage vidéoludique.

    Pour finir, les questions de design de narration dans les jeux vidéo est un grand débat, je viens de passer deux jours à un colloque à Montréal, où une dizaine de chercheurs et de concepteurs indés et main stream (Tale of Tales, Frictional game, Ubi Soft, David Cage) ont été invités à débattre de ce sujet. Autant vous le dire, il n’y a pas eu de consensus à la fin. Mais c’est aussi ce qui rend le jeu vidéo passionnant, il y a encore énormément de chose à faire et à expérimenter (et sur ce dernier point c’est certainement plus facile sur la scène indépendante). J’ai essayé de proposer quelque chose en ce sens et je suis bien heureux que cela fasse débat, car plusieurs aspects du projet ont aussi été pensés pour provoquer cela, afin de nourrir la réflexion sur le jeu vidéo comme forme d’expression.

  • Etienne

    Je ne réagis pas au jeu en question, que je ne connais pas, mais je suis tout à fait d’accord avec toi, Sachka, il y a un vrai manque de reconnaissance (et même de connaissance tout court) de cette profession et de l’art interactif en général.
    +1 aussi pour la sempiternelle et lassante dichotomie entre « art » et « divertissement ». Desproges se battait déjà il y a 30 ans en disant qu’« elle est immense, la prétention de divertir », mais rien n’a changé.

    Pour ça, on n’est pas dans le bon pays : ici, culturellement, il y a les émotions bonnes et les émotions mauvaises. Faire pleurer, c’est bien. Faire rire, ça craint, c’est pas « subtile » et trop facile. Faire rêver, faire peur ou s’émerveiller, c’est limite : acceptable sur présentation d’une thématique culturelle uniquement. Quand on voit le cinéma français et les préoccupations des élites, on comprend bien que le jeu vidéo, ça rentre décidément pas dans les cases.

    Quant à ce qui rend notre média inimitable, c’est-à-dire l’implication directe de l’utilisateur, les médias traditionnels et les journalistes ne savent pas encore bien comment traiter ça. Si on considère les émotions variées et profondes que suscite cette implication, on est bien obligé de se rendre compte que le jeu vidéo transmet facilement (ou plus souvent « génère », là encore il y a une différence entre sujet et objet qu’on n’est pas habitué à traiter s’agissant d’un média) une richesse d’émotions et de réactions que peu d’œuvres approchent.

    Le jour ou on osera déclarer que Space Invader est un chef d’œuvre de l’art interactif, on aura fait un pas, mais ce jour-là, on sera obligé de faire rentrer tellement de jeux sous l’appellation d’œuvre artistique que des dents vont grincer. Autant dire que c’est pas demain la veille.

    En attendant, faites des jeux. Plein. La reconnaissance artistique viendra, mais elle est secondaire et sera bien tardive.

  • roger

    A un moment donné ça va bien les gens qui parlent des jeux sans y avoir joué. Les commentaires de playtime n’ont souvent aucun intérêt : les gens parlent de l’article, qu’ils ont lu en diagonale en 10 secondes. On se fout de ce genre d’opinion.

    Moi j’ai joué au jeu et voici mon avis détaillé (je l’ai déjà posté sur playtime justement). C’est dur mais ça repose sur du concret.

    1. Le sujet très personnel (d’après ce que j’ai compris) et dramatique est délicat pour les éventuelles critiques. Déjà on peut pas se moquer du jeu, tout ricanement est proscrit sous peine de se sentir extrêmement cruel.

    2. Au niveau de la réalisation c’est un produit fini et de qualité correcte : j’ai pas eu de bug, ça clique correctement (mais bon ça n’a pas été programmé). Les dessins sont pas trop moches, c’est un style. Pareil pour la musique.

    3. Au niveau ludique il y a un énorme problème : c’est pas un jeu. On n’a pas un instant la sensation d’avoir réussi un truc, trouvé quelque chose. Il n’y a aucune sensation de mérite, de succès. On se déplace, on trouve une clef, on a un seul objet à gérer à la fois… C’est ultra limité et ça relève plus de l’histoire interactive que du jeu (et encore l’interaction se limite à déclencher l’épisode suivant).
    Donc c’est sans intérêt à ce niveau là. Les dialogues sont à sens unique, sans réel choix (on a le choix avec le père mais les infos pourraient tout aussi bien être données d’un seul coup).
    A la fin il y a bien un vrai choix mais c’est trop limité pour présenter un intérêt.

    4. L’univers n’est pas si mal mais il y a des choses trop naïves et convenues à mon goût, comme l’étoile à attraper comme preuve d’amour ou « le lieu où les anges pleurent ». L’autre problème c’est que tout est trop explicite, ça manque cruellement de subtilité. Vu que les textes sont limités en quantité en plus ça choque un peu.

    5. Certes c’est un jeu réalisé en amateur mais autant on peut être compréhensif sur les données graphiques et sonores, autant sur la richesse des interactions et sur le contenu textuel c’est plus difficile. L’auteur est le moteur du projet, il a trouvé des gens pour l’accompagner, pour moi il aurait dû faire mieux, surtout en ayant un cursus professionnel. Et encore plus après avoir annoncé quelque chose de neuf et qui se voulait audacieux.

    Bref pour finir c’est un jeu dont j’ai pas de plaisir à dire du mal, mais honnêtement c’est dur de faire autrement. L’aspect ludique est nul, l’aspect artistique (en dehors des graphismes et de la musique) est guère plus convaincant. Je ne comprends pas comment des medias importants lui accordent un tel crédit…

    En fait la question est la suivante : il y avait certainement moyen de faire un jeu plus riche, avec de réelles interactions, des dialogues plus approfondis et intéressants. Pourquoi ça n’a pas été fait ?
    La flemme ? Le manque de compétences ? Le manque de temps ?
    Pour le manque de temps ça ne me satisfait pas. Soit on fait rien, soit on prend le temps, c’est une question de respect pour les joueurs. Moi je suis un obscur amateur, comme plein d’autres, et je prends ce temps en faisant des sacrifices. Pourtant on ne parlera jamais de mon jeu sur playtime et il ne me viendra pas un instant à l’esprit de le présenter comme une révolution. Il faut redescendre sur terre là…

    Je sais que mon message paraîtra dur à certains mais j’ai lu l’article, j’ai téléchargé et installé le jeu, j’ai joué jusqu’au bout. Je n’ai absolument aucune raison d’en vouloir à son auteur et il n’y a pas une once de malveillance dans mon propos.

    Je suis tout à fait d’accord avec le fait que l’émotion n’est pas totalement subordonnée à la technologie (même si cette dernière ouvre des perspectives nouvelles quand même), mais elle dépend directement de choses comme le travail et l’imagination… Ces éléments sont clairement trop rares ici.

  • […] serais probablement resté à l’interview si je n’avais pas lu la réponse de Sashka (game et narrative designer) à l’article de Playtime, qui était assez négative sur le jeu […]

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